Contempler un tableau… avec ses oreilles
Quel doux rêve que celui de pouvoir admirer une œuvre d’art en activant ses 5 sens ou même de pouvoir choisir l’un ou plusieurs d’entre eux comme l’ouïe, l’odorat ou même le goût.
Ce mélange de sens a déjà un nom : la synesthésie, ce phénomène neurologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés. En grec « aisthesis » désigne la sensibilité, l’aptitude à avoir des sensations et le préfixe « syn. » signifie « ensemble » / « union ».
De fait, la synesthésie est l’association spontanée et involontaire de modalités sensorielles différentes, comme par exemple « goûter la rugosité d’une surface », « voir les chiffres en couleurs » ou « voir la musique ».
Si une ambiance sonore peut se configurer volontairement à un lieu car il renferme une histoire ou des éléments caractéristiques, pour l’œuvre, le tableau, on peut proposer une lecture « sonore » des couleurs qui peut être un élément intéressant à exploiter (sur principe de la synesthésie).
Pouvoir écouter des couleurs ouvrirait ainsi un champ du possible relativement fascinant pour le commun des mortels. Imaginons un seul instant ce festival des sons, cette explosion de sens harmonieux à la vision d’une peinture.
Peu de personnes ont ce pouvoir… c’est pourtant celui de Neil Harbisson.
Cet artiste espagnol d’origine britannique est incapable de percevoir les couleurs depuis qu’il est né. En 2004, il fut le premier homme au monde à se faire greffer un œil cybernétique sur la tête (eyeborg), sorte d’œil électronique lui permettant de distinguer les couleurs malgré son achromatopsie (maladie qui lui fait tout voir en noir et blanc) et de traduire les fréquences lumineuses en fréquences sonores. Cet outil convertit les couleurs perçues en ondes sonores distinctes suivant la teinte, ce qui permet à son oreille interne de ressentir les changements chromatiques. Et donne à l’expression « une symphonie de couleurs » un sens nouveau.
En clair, son équipement lui permet d’écouter des œuvres d’artistes-peintre et de ressentir l’émotion simple d’un visiteur dans un musée d’arts. Depuis qu’il porte cet « eyeborg », il rêve de couleurs, ses émotions changent en fonction de la couleur de son environnement. Il est devenu une sorte d’esthète musical des teintes, chaque nuance perçue par son œil électronique créant en lui une symphonie plus ou moins harmonieuse.
Poussant cette logique de synesthésie au plus loin, il a enseigné à une troupe de musiciens à « lire » les couleurs au lieu d’une partition (vidéo).
Baudelaire parlait des « correspondances » de son âme avec la nature dans Les Fleurs du Mal, Emma Bovary, chez Flaubert, pleurait de tout son corps près de sa fenêtre ; ses sanglots étant de plus en plus forts à mesure que la pluie redoublait d’intensité en frappant la vitre.
Demain, nous pourrons inventer et créer un système d’amplification pour enrichir nos émotions sur la base de nos correspondances et vivre ainsi une expérience unique aux sens, décuplés.